deuil

[Aubrac]

Ma femme est décédée il y a deux ans et je n'arrive pas à faire mon deuil.
Je l'ai accompagné pendant 13 ans dans sa maladie, avec de nombreuses opérations handicapantes et autant de chimiothérapies.
Maintenant, je ressens de la culpabilité de ne pas toujours avoir été à la hauteur et de ne pas avoir pu faire plus...
Ne trouvant pas de psy qui me convienne, je m'isole et je déprime.
Quelqu'un a t-il connu ce genre de situation ?

[enora]

Excusez moi de répondre malgré que je n'ai pas connu cette situation.
Je me sens touchée car il me semble que les hommes qui accompagnent leur femme jusqu'au bout dans l'épreuve sont rares.
Vous culpabilisez parce que vous n'avez pu faire plus mais vous avez fait bien plus que beaucoup, et certainement qu'elle est partie en se sachant accompagnée;
c'est quelque chose d'une valeur sans nom.
Par contre il est possible que de votre coté vous vous soyez épuisé car accompagner pour l'aider à traverser sa maladie cela doit être usant tant au point de vue physique que psychique.
A un moment il faut déposer le fardeau, elle est partie avec le cadeau de votre accompagnement.
A présent il faut vous occuper de vous, regarder autour de vous, regarder vers quoi vous pourriez être attiré: activités , fréquentations..
J'ai connu une femme qui a accompagné son mari pendant des années jusqu'à la fin à travers la maladie d'Alzheimer.
Je me demandais comment elle allait s'en sortir car elle semblait sombrer. Après le décès du mari, outre le fait que sa fille la secouait pour fréquenter les salles de sport,
elle a commencé à s'activer pour aider les assos qui oeuvrent au Japon dans les régions dévastées (elle vit au Japon).
Je pense que toute l'énergie qu'elle déployait pour aider son mari a finalement pu continuer de se déployer.
Je la vois à présent très entourée, très active, et manifestement heureuse. Je crois que la période longue et difficile qu'elle a traversé n'aura pas été inutile.

[Nadia_BORDAS]

peut être aussi que cette culpabilité que vous ressentez (et qu'il faut entendre) à propos de l'accompagnement en fin de vie de votre femme trouve ses racines ailleurs.... avez vous auparavant souvent été sujet à la culpabilité ?

[Aubrac]

Bien sûr, de par mon enfance originelle, j’ai une part d’explication sur ce sentiment de culpabilité.
Notamment, entre autre et à tort, dans le sentiment d’avoir été la cause de la séparation de mes parents.
Le problème, c’est qu’il ne suffit pas d’en être conscient et de remettre les choses à leurs places pour lever cette problématique dans le subconscient.

Concernant ma femme, ma culpabilité ne vient pas que du fait que j’aurais pu faire mieux ou plus, elle vient aussi du fait d’avoir accepté l’accélération de sa fin de vie en soins palliatifs.
Avec le recul, j’ai le sentiment d’avoir gâché 13 ans de combats en baissant les bras avant la fin « naturelle ».

[Nadia_BORDAS]

en quoi le fait d'avoir accepté l'accélération de sa fin de vie en soins palliatifs a t'il pu avoir un impact sur le cours des choses ?

[Aubrac]

C'est une forme de trahison, de n'avoir pas eu la patience d'aller jusqu'au bout du combat.
Au fond de moi même, j'étais épuisé, et je me sens coupable d'avoir pris cette décision plus par égoïsme que par amour.
Sauf qu'entre la raison et les émotions affectives, je n'assume pas...

[Azadeh]

Si cette décision a été prise, ce n'était certainement pas uniquement par toi.
Aurait-il été respectueux d'elle que de la laisser s'épuiser dans un combat qui ne lui apportait sans doute plus que souffrances et sentiment de se perdre elle-même ?
Il aurait peut être été là, au contraire, l’égoïsme. Dans le fait de vouloir la conserver auprès de toi à tout prix.

[enora]

Dans un livre de Marie de Hennezel: "La mort intime" des témoignages montrent comment certaines personnes en fin de vie retardent leur départ par peur de faire souffrir leur proche qui n'accepte pas cette perspective. Au final c'est une souffrance que l'on fait durer pour ne pas faire souffrir l'autre.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire il y a souvent une grande lucidité chez la personne sur le point de mourir, et souvent ses premières pensées vont pour les autres et pas pour elles même.
Les soins palliatifs permettent de vivre dans de meilleures conditions son départ si l'on n'a pas gagné le combat contre la maladie.
S'acharner à combattre c'est risquer de se priver du moment de paix qui peut être possible en fin de vie.