Oublier qu'on a été victime de viol, est ce possible?

[Jeannette]

Parle, ou écris. Ici, ou ailleurs. Eventuellement dans un simple cahier.
Raconte ce dont tu te souviens. Les faits, mais aussi ce que tu as ressenti. Ou ce dont tu doutes. Ou les questions que tu te poses. Ou tes colères. Ou tes joies.

Si tu ne le fais pas, ton malaise, au lieu de diminuer, ne fera que grandir. Tu arriveras à le mettre en boite, à l'enfermer. Parfois. Pas toujours. Et il ressortira à chaque fois un peu plus fort. Dans ta haine contre les hommes. Dans tes colères. Dans le dégout de toi-même. Et autres.
Et puis surtout, pour enfermer le malaise, il faut tout enfermer. Y compris les quelques éléments de bonheur que tu pourrais vivre. Enfermer, c'est te condamner à devenir une machine de plus en plus dure, de plus en plus inhumaine...

Et non, je ne suis pas "dure". C'est du vécu.

Et pourtant, je te garantis que l'on peut guérir. Oublier, non. Mais guérir. Je l'ai fait, Gilou l'a fait. Et nous ne sommes pas exceptionnels. Si nous y sommes arrivés, tu le peux aussi. Mais ce serait dommage que, arrivée à 45 ans, tu en sois comme moi à te dire "si seulement j'avais réagi plus tôt"... C'est pour cela qu'on te pousse à le faire. Pas pour nous. Pas pour éviter de perdre notre temps. Notre temps, nous l'avons de toute façon gagné si nous avons réussi à planter une graine d'espoir en toi, aussi petite soit-elle. Mais pour toi. Pour que TOI, tu n'aies pas la sensation, un jour, d'avoir gaché des années qui auraient pu être heureuses...

[lyza]

Oublier, non. Mais guérir.

voilà. Apprendre à vivre avec. Et même réussir à en faire un simple souvenir non douloureux. Mais ça prend du temps.

[Help]

Jeanette, j'entends ce que vous dites. Je l'entends, et je sais que vous avez raison, mais ça s'arrete là. Je n'ai plus foi en ce monde depuis bien longtemps, cela fait un bon bout de temps que j'ai cessé de me battre.

J'avais entendu une fois ça dans un film : "Deux petites souris tombent dans un verre de lait. La première se noie, et la deuxieme commence à se débattre tellement fort qu'elle transforme le lait en beurre, et sort du verre." J'ai longtemps été cette souris qui se bat. Jouer à la roulette entre celle que je suis devant les autres, joyeuse, et celle que je suis au fond m'use. Je fatigue, et j'ai bien vite compris que ça ne servait à rien au final.

J'essaie de me persuader qu'au fond j'en vaux la peine, mais je sais que c'est faux. Je vous avais dit que j'en avais parlé à une amie, il y a bien longtemps. Puis je ne sais pas comment, mais c'est arrivé à mes parents. Je me rappelle, une fois, ma mère m'avait demandé si j'avais déja subi quelque chose, sans me préciser pourquoi. Mal à l'aise, je lui ai dit de me laisser tranquille. Elle a jeté un coup d'oeil à mon père, puis c'est tout. Plus jamais reparler de ça. Ca me dégoute, si ça les interessait un minimum ils auraient fait quelque chose.

[lyza]

Ca me dégoute, si ça les interessait un minimum ils auraient fait quelque chose.

Non. Et beaucoup de parents qui apprenent que leurs enfants ont été agressés réagissent en n'en parlant, en faisant comme si rien ne c'était passé.
1. parce qu'on évite de remuer la douleur ("maman, j'ai mal quand je bouge mon bras" - "et bien ne le bouge pas")
2. parce qu'en parler, c'est se prendre en pleine figure qu'ils ont "échoué" dans leur rôle de parents, en n'empêchant pas qu'il t'arrive un drame.
ça fait mal, tu aimerais autre chose, mais avec le temps, tu comprendras leur propre douleur face à ce qui t'es arrivé. Ce sera dure à encaisser, mais si tu les aimes, tu leur pardonneras. Peut-être que ce qui aide, c'est de devenir parent à son tour, et cette douleur atroce à l'idée qu'il puisse arriver du mal à son enfant : quand on a mal à ce point rien qu'en imaginant, on réalise à quel point nos parents ont du avoir le coeur brisé qu'il nous soit arrivé quelque chose, et qu'ils ne l'aient pas su !
Parce qu'en plus, d'une certaine manière, tu n'as pas eu assez confiance en eux pour aller leur en parler, c'est un tiers qui le leur a dit...

Je ne prends pas leur défense, je t'explique, car dans ton cheminement, tu vas avoir besoin de comprendre ce qu'ils traversent, ta mère en particulier... Elle doit avoir très mal...

[Help]

Je rejoints Jeannette n'attend pas, le poison fait toujours plus de dégât avec le temps.

J'ai toujours eu cette tendance, à toujours remettre le travail au lendemain, à me dire que peut être demain sera un jour meilleur.
Vous trouvez que je devrais me couvrir d'humilité, pourtant c'est seulement d'un peu de courage dont j'aurais besoin. Dans quelques années, je sais que j'irais consulter. Pour moi, mais aussi un peu pour les autres que j'ai renié, dont j'ai chassé l'amour/l'aide qui aurait pu m'être proposée...

[Help]

Donne toi des objectifs accessibles avec un résultat observable. Ce sera tes marches pour ton ascension.

Vous voulez dire quoi par là?

[Help]

Merci. Merci pour ce que vous me dites, merci pour le temps que vous m'accordez pour me répondre, aussi infime soit-il.
Je ne vois pas encore quels petits pas je pourrais faire, mais surement qu'un jour je saurais, ce monde en vaut peut-être la peine.

[Help]

Nous avons de la voix : la voie de la vie.

Pourquoi la vie en vaudrait-elle la peine?

[Jeannette]

Parce que la chaleur du soleil sur notre peau est douce
Parce que le rire d'un enfant illumine une journée
Parce qu'un lever de soleil en mer ou en montagne est inoubliable
Parce qu'un moment de tendresse et de rire avec des amis vaut tous les trésors du monde
Parce que lacher prise dans les bras de celui qu'on aime est un moment qui, à lui seul, répond à ta question

[Pognes]

La vie, c'est un peu comme si vous aviez fait un long déplacement pour répondre à une invitation. Vous êtes sur place, tout est noir, mais il y a du monde. Repartir sans chercher, sans échanger, sans s'impliquer un peu dans cette place étrange, n'est-ce pas un peu dommage? Et puis, peut être un jour, sans le savoir peut être même, vous direz un mot, ou deux, qui marqueront une vie, changerons la route de quelqu'un qui s'embourbait. Peut être un jour, c'est quelqu'un d'autre qui vous apporteras ces mots, vous mèneras dans d'autres pièces, d'autres endroits de ce lieu. Plus festif, ou plus intime. Un endroit à vous.

Et puis, la douleur, même elle la douleur. Elle est mieux que l'absence d'émotion, le vide, le néant. Elle apporte toujours quelque chose avec elle, quelque chose qui peut vous faire grandir, quelque chose qui vous sera unique, personnel. Quelque chose qui ne valait certes pas (et jamais) toute cette peine, mais quelque chose quand même. Elle créer de l'ombre pour votre propre lumière, vos joies, vos émerveillement qui n'en seront que plus fort.

En bref, la vie ne peux valoir la peine, car la vie englobe la peine, l'engloutit la déborde. Elle vaux bien plus car quoi qu'il advienne, elle sera toujours quelque part, plus grande, plus profonde, plus haute et plus large que n'importe quel élément qu'elle contient (y compris le bonheur).