garçon agressé par un autre garçon à l'âge de 5 ans

[Jeannette]

Il y a de cela...

Et pour t'expliquer mon point de vue, faire le lien entre ce que je percevais de ta métaphore et ce que j'ai vécu :
Pour reprendre tes mots, j'ai passé près de 40 ans en pilotage automatique. L'obus faisait son oeuvre, mais je ne le voyais pas, ne m'en rendais pas compte. J'avais tout repoussé / refoulé derrière un grand mur. Ma vie n'était pas rose, mais je ne comprenais pas pourquoi, je ne savais pas, n'avais pas réalisé avoir vécu ces maltraitances puisque je n'avais connu que cela, ne comprenais pas pourquoi je ne réussissais pas à vivre "comme les autres", ne voyais pas que j'acceptais l'inacceptable. Je croyais que mon environnement, mon entourage, était "normal" et que c'était moi qui étais anormale ou coupable de ne pas réussir à le gérer, de ne pas savoir en être heureuse comme les autres l'étaient de leur vie. Etc.
Jusqu'au jour où je me suis trouvée dans un environnement qui, lui, était normal. Au sens où j'étais momentanément entourée de personnes fonctionnant "normalement" (si tant est que cela soit possible) et que le contraste m'a fait ouvrir les yeux même si je ne l'ai pas compris tout le suite. Le barrage a cédé. et l'obus m'a éclaté à la figure. Durant quelques heures, je me suis trouvée au point zéro d'une explosion atomique. La peur. Un tsunami de peur. Le pire moment dans ma vie. Mais aussi peut être le meilleur. Parce que pour que cela s'arrête, la seule solution a été de remonter la trajectoire de l'obus jusqu'au dragon. D'arrêter de le fuir, le regarder en face, et accepter de vivre, de ressentir, ce que j'éprouvais face à lui. Autrement dit arrêter de combattre. Lui faire face et l'accepter. Accepter la peur et son origine. Le dragon n'en demandait pas plus pour se calmer et stopper l'effet destructeur de l'obus.
Après, pendant des mois, plusieurs années peut être même, je me suis sentie comme un puzzle que l'on aurait lâché au sol. Je ramassais les morceaux un par un pour reconstruire quelque chose. Certains morceaux étaient agréables. D'autres cachaient d'autres obus, d'autres dragons. Mais je n'en avais plus peur, je ne les repoussais plus. J'avais compris comment faire. La psychanalyse m'a aidée. A ramasser les morceaux de puzzle, à remonter les trajectoires jusqu'aux dragons, à reconstituer l'image.
Bien sûr, les dragons sont toujours là dans mon passé, mon histoire. Mais ils ne sont plus agressifs.

[corto maltese]

Merci Jeannette pour cette très belle réponse, très émouvante. Je m'y reconnait assez, l'image du puzzle éclaté est tout-à-fait juste. J'en ai parlé au psy encore ce matin, de cette impression d'être décalé dans un monde où les autres "vont bien". Mais je me leurrais. Le refus de voir tout le bizarre et le malsain dans ma famille et dans mon couple, à la fois pour me protéger moi (refus d’accepter que j'avais construit ma vie sur une base instable), pour ne pas me décourager (un mariage ! des enfants ! une vie normale - je m'en suis sorti. Tu parles...) , et par amour pour ma mère (reconnaître l'ampleur de ma souffrance c'est reconnaître son échec à elle, à rendre ses enfants heureux). N'ayant pas les mêmes centres d'intérêts, la même vision des choses, ni les mêmes attentes que les autres, je tends actuellement vers le repli social : il faut que je fasse attention à ne pas me retirer complètement du monde !